D'où viens-tu? Où et comment as-tu grandis? Des choses marquantes durant ton enfance?
*Soupir!*
Il y en a encore pour longtemps ? Ne pouvez-vous simplement pas regarder mon dossier ?
*Silence!*
J'ai grandi dans un ranch avec mes parents et mes grands-parents paternels, où j'ai appris à monter et à développer les valeurs qui sont les miennes aujourd’hui. J'ai un frère aîné, de 3 ans de plus que moi, Connor, qui est aujourd’hui dans la Navy. Je suis la nuit, il est le jour, il est flambeur, coureur moi pas. La seule chose sur laquelle on se retrouvait et sur laquelle on se retrouve encore aujourd'hui c'est le sport, mais il est aussi vrai que l’on ne se voit plus beaucoup. Non pas que l'on ne s'aime pas, c'est seulement que, nos vies sont différentes et que l'on ne ressent pas le besoin d'être constamment l'un sur l'autre. Mais je sais pouvoir compter sur lui en cas de besoin.
Que vous dire d’autre sur mon enfance? J'étais une enfant téméraire et pleine de vie, mes cicatrices peuvent l’attester. J'étais plus garçon manqué qu'autre chose. Je détestais porter des robes et il a fallu attendre qu'un garçon entre dans ma vie pour que je commence à faire un peu plus attention à moi. J'étais taquine, je passais mes journées à vagabonder dans le ranch sur le dos d'un cheval ou dans la caisse d'un pick-up avec nos cow-boys. Il n'était pas rare de me voir disparaître le matin pour me voir réapparaître le soir. Ce qui amusait grandement mon père, mais qui me valait des roustes incroyables de ma mère. Que je n'écoutais évidemment que d'une oreille. J’ai d’ailleurs toujours été très douée pour ça, n’en faire qu’à ma tête. Digne fille de mon père que j'étais, comme elle aimait à me le répéter.
Je ne peux pas dire que j'étais vraiment solitaire, c'est seulement que j'aimais nos grands espaces. Si je suis devenue une jeune championne internationale de monte western ce n'est pas pour rien!
A l'école je me maintenais dans la moyenne pour satisfaire mes parents, mais pour moi c'était du temps perdu. Je pensais savoir ce que ma vie serait. C'est-à-dire tout à fait conforme à celle que je vivais à ce moment-là. Dans le ranch, entourée de chevaux, de mon frère, de mes parents et de mes grands-parents. C'était le paradis sur Terre pour l'enfant que j'étais. L'endroit où je pouvais vraiment dire... Je suis chez moi!
Comment c'est passé ton adolescence? La puberté et tous ses changements? La libido qui se réveille? La naissance et/ou la découverte de ce que tu es, si c'est le cas? Étais-tu un ado difficile? Croquais-tu la vie à pleine dent? Et la sexualité dans tout ça? Tes rapports avec l'autre sexe? ...
Mon adolescence c'est passée comme mon enfance, plus ou moins en tout cas. Les garçons, les sorties ne m'intéressaient pas vraiment. Si on me tolérait au lycée c'était parce que j'étais une championne nationale (et bientôt internationale) en plus d'être la soeur de Connor Sawyer, l'un des piliers de l'équipe de foot du lycée, tombeur de ses dames et brillant élève... Je ne faisais aucun effort pour me mêler à ceux de mon âge, je n'en ressentais pas le besoin. Ho et temps que j'y pense, je ne m'intéressais pas plus aux filles qu'aux garçons si c'est ce que vous vous demandez. Enfin jusqu'à ce que Nate entre dans nos vies.
***
Je n'étais que la petite sœur, mais il m'écoutait déblatérer sur les chevaux, sur mon univers. Me respectait malgré la froideur de mes camarades et de leurs amis à mon égard. Je me demande encore s’il avait remarqué les regards énamourés de la jeune adolescente que j'étais alors lui lançait ? Je l'ignore, je me rends compte qu’il y a beaucoup de sujets que nous n’avons pas su aborder. Ça a toujours été le problème avec Nate, j’étais intoxiquée par sa simple présence, j’aurais fait n’importe quoi pour lui. Tout le reste n’avait aucune importance…
Je l'ai donc regardé évoluer en repoussant les quelques prétendants qui se présentaient. J'ai posé des yeux tristes sur ses conquêtes. J'ai craint mille et une fois de le perdre à cause de l'une d'entre elles. Je l'ai regardé faire dans l'ombre, épaules, voir oreilles attentives quand il déniait m'accorder de son temps. Pourtant, ce n'est pas qu'il ne m'aimait pas je crois. C'était seulement qu'il ne me voyait pas, je n'étais que la petite sœur de son meilleur ami. Et je suppose que j'ai souvent dû lui paraître exaspérante à les suivre partout comme je le faisais...
Enfin voilà, je suis tombée amoureuse du meilleur ami de mon frère dès la première seconde où j'ai posé mon regard sur lui. Mon adolescence c'est donc focalisée sur un garçon qui n’avait absolument pas conscience de mon existence et le reste du temps, je parcourrais le pays, puis les concours à l’international en y raflant le plus de trophées possibles.
Une adolescence plutôt classique en fin de compte…
*
Puis vint l'année de mes 17 ans et l'annonce du Cancer de ma mère. Je fus envoyée quelques mois chez ma tante maternelle à Paris, le temps pour ma mère de subir les opérations sans avoir à cacher sa douleur à ses enfants. J’ai été élevé ainsi, quand on tombe on se relève, quand on souffre on le cache. La vie dans un ranch n’est pas toujours rose vous savez? Elle est même souvent tragique. Les émotions n’y ont pas leur place. Il faut savoir se montrer fort, forte comme ma mère face à son combat. Mais voir ma souffrance au quotidien en plus de celle de mon père aurait été un fardeau trop lourd pour elle, alors... Quant à mon frère, il était déjà entré dans l'armée depuis deux ans et sa mission de l’époque l’avait aussi bien tenu éloigné de la maison, de notre mère, que de moi. Étrange en y repensant, combien les personnes que j’aime, m’évincent de leur vie quand ça ne va pas… Ma mère, puis…
*Nouvelle inspiration…*
Je dois dire qu'outre l'inquiétude que j'éprouvais pour ma mère, ce voyage c'est révélé être une véritable source d'inspiration. Ma tante qui s'était mariée avec un français était une femme brillante et distinguée. Une femme qui m'a beaucoup appris sur moi-même. Jamais je n'aurais pu dire d’elle qu'elle entrait dans le moule de la société et pourtant elle n'était que prestance et élégance. Elle était ce genre de femme que l'on regarde avec envie dans les magazines. Que moi-même j'enviais, pour son naturel et son intelligence. J'ai appris auprès d'elle qu'une robe, une coiffure et du maquillage ne gâte pas une femme, mais lui ouvre des portes. Qu'une femme peut tout autant faire valoir son opinion, tout autant s’imposer dans ce monde qu’un homme. Elle m’a ouvert à un monde bien différent de celui que j’avais jusqu’ici vécu chez mes parents. Elle a dépoussiéré la petite campagnarde que j’étais pour en faire une toute jeune femme curieuse de l’existence et qui peu à peu se découvrait l’envie d’intervenir sur ce monde, de le rendre meilleur. J'ai fréquenté avec elle des salons de beautés, appris à me maquiller en accord avec mon caractère, légèrement, naturellement... J'ai appris à m'habiller avec un peu plus d'harmonie tout en restant celle que j'étais. Avec mon caractère bien trempé. Elle ne m’a donc pas révolutionné, elle m'a seulement permise de me rendre compte de ce qu'il se cachait en moi. Telle une fleur prête à éclore, feuille après feuille, elle m’a aidé à m’ouvrir à ce monde auquel, je m'en rendais compte, je ne comprenais finalement pas grand-chose...
Et puis je suis rentrée chez moi quelques semaines avant la graduation. Ma mère était en rémission, mais personnellement j’envisageais mon avenir très différemment. J’avais réellement mis un coup à ma scolarité, je continuais à entretenir mon corps, mais pour un tout autre objectif que l’équitation. En rentrant, je savais que ça ne serait que pour un temps. Que contrairement à ce que j’avais imaginé toute mon existence, je ne resterai pas au ranch, que je ne reprendrai pas le flambeau. Tout mon avenir avait changé. Ma décision avait d’ailleurs soulevé plus de tristesse que de réelle déception. Un peu comme si mes parents comprenaient ma décision. Comme s’ils l’espéraient même. Et s’était le cas. Ils avaient passé leur existence à trembler sur le lendemain, à ne jamais être sûrs de pouvoir boucler les fins de mois. Ils avaient craint que mon frère et moi décidions de faire des études. Crains de ne pas être à la hauteur des financements, de nos rêves, de nos espoirs. Et même s’ils avaient eu peur pour la vie de Connor lorsqu’il s’était engagé dans l’armée, un poids s’était ôté de leur épaule. Quant à moi, l’argent de mes concours mis de côté avait fini de les rassurer. Il m’avait fallu attendre ce moment-là pour comprendre pourquoi ils ne m’avaient jamais laissé y toucher, mais je ne saurais dire combien je leur en fus reconnaissante à ce moment précis. Oh bien sûr, jamais je ne n’aurais eu les moyens de faire Harvard, mais j’avais ceux d’envisager une université tout à fait respectable, sans compter mes derniers résultats scolaires qui me permettaient une bourse acceptable. Ils pouvaient à présent vivre pour eux en sachant que leurs enfants pouvaient envisager un avenir, relâcher sur le travail et profiter de la vie comme ils n’avaient jamais pu le faire jusqu’ici. Alors je m’attelais à mon objectif. Être reçue aux cessions de recrutement de la CIA. Ce n’était plus seulement une affaire d’envie, de devoir. Plus seulement pour moi, égoïstement, mais pour ma famille aussi. Une dernière étape avant leur liberté !
C'est ainsi que j'ai fini par être graduée et acceptée dans le programme des jeunes recrues de la CIA. Cela ne m’assurait pas de trouver une place parmi eux bien sûr, mais j’avais une carte d’entrée et j’avais bien l’intention de faire mes preuves. Mais je suppose que tout cela est déjà dans mon dossier ?
Toujours est-il que mon diplôme en poche et mes 18 ans aidant, mes parents ont souhaité fêter leur liberté retrouvée (sous couvert de ma réussite et de mon anniversaire) avec tous nos amis et notre famille. Même Connor avait réussi à être présent, même si je ne suis toujours pas convaincue qu’il ait eu vraiment le choix. Ce que ma mère veut elle l’obtient, coûte que coûte. De qui croyez-vous que je tienne ma tête de pioche ? Quant à Nate, en permission lui aussi, il était venu rendre visite à sa famille et n’avait pas su résister à l’invitation de la mienne (je le répète, ce que ma mère veut…). Et même si je n’en suis plus si sûr aujourd’hui, j’imaginais à cet instant-là qu’il éprouvait une réelle affection pour eux et pour moi. Suffisante en tout cas, pour réussir à le convaincre sans trop de menaces. Après tout, il était presque un second fils, ils l'avaient vu grandir au côté du leur, n’aurait-il pas été légitime qu’il se soit, un peu, attaché à nous ? Enfin bref, Nate avait intégré les forces de la CIA et nous ne nous étions pas revu depuis plus de 2 ans et pour être honnête, je n’avais eu que très peu d’espoir de le revoir un jour.
Mais ce soir-là, il allait m'ouvrir les portes de ce que je pensais être le paradis. Sa simple présence aurait suffi à me faire avaler l’acide que représentaient pour moi cette fête et le fait d’en être le centre d’attention, mais le regard qu’il allait poser sur moi en m’apercevant… Il n’y avait pas eu besoin de mots pour comprendre qu’il avait cessé à cet instant de voir en moi une enfant. J’étais trop innocente à l’époque pour reconnaître le désir d’un homme pour une femme, toutefois s’était comme s’il m’avait vu pour la première fois. Nous n'avons pas pu beaucoup parler avant la presque fin de la soirée. Trop de monde s’agitait autour de moi et de son côté son meilleur ami l’accaparait. Mais après avoir probablement eu une conversation avec à peu près tout le monde, j’avais fini par m’esquiver près de la piste de danse où j’avais regardé évoluer quelques couples qui avaient bercés mon enfance. Un sourire aux lèvres, regardant ma mère dans les bras protecteurs de mon père, appuyer contre le vieux chêne centenaire, je trifouillais machinalement un collier imaginaire autour de mon cou nu, pourtant si peu habitué à l’être. J’attendais encore que ma tante me renvois le coffret à bijoux que j’avais oublié chez elle, et en attendant je n’avais rien trouvé de suffisamment élégant ou fin pour mettre avec ma robe, alors plutôt que de gâcher ma tenue avec une parure excentrique, comme celles que j’aimais porter avant mon voyage, je m’étais abstenue. Des mains s’étaient alors glissées de mes épaules à mon cou, puis sur ma nuque pour sceller un fermoir. Surprise j’avais tenté de me retourner pour contempler mon vis-à-vis, qui m’avait demandé de me tenir tranquille tandis qu’il s’acharnait à comprendre le mécanisme du collier. Un gloussement attendri, mes joues rougissantes, j’avais caressé la rangée de perles qu’il venait de m’offrir, plus touchée par le fait qu’il se soit souvenue de mon obsession les colliers, que par la pureté du présent. J’avais donc un peu existé au cours de ses années, suffisamment en tout cas pour qu’il se rappelle de ça. Une fois son entreprise terminée, je m’étais retournée vers lui pour le remercier, mes mains chastement posées sur ses épaules et me glissant sur la pointe des pieds, je me penchais vers lui pour l’embrasser sur la joue, seulement il eut la même idée. Nos lèvres se frôlèrent nous surprenant tous les deux. J’avais tant rêvé de ce moment. De ce baiser, et être là, contre lui, pleine de désir pour celui que j’avais toujours connu mais plus encore pour ce côté homme que notre séparation lui avait donné… Il était plus désirable que jamais je… Nos lèvres se sont trouvées, se sont soudées. Nos corps se sont fondus l’un dans l’autre, mes bras autour de sa nuque, une main glissée dans sa chevelure, tout en moi lui interdisait de s’enfuir. En avait-il seulement envie ? Je ne savais plus où ma respiration commençait et où la sienne s’arrêtait, je ne savais plus où se trouvait mon corps par rapport au sien. Je mourrais littéralement de lui, rien d’autre n’existait, ni la seconde suivante, ni celle d’avant juste ce baiser qui m’empêchait de penser. Enfin, jusqu’à ce que mon père vienne séparer les duellistes pour je cite : « faire baisser la température environnante ».
Parlons un peu de ta vie d'adulte à présent? As-tu fais des études? As-tu une profession? Si oui pourquoi ce choix ? As-tu connu des tournants dans ton existence?
...
Venons-en à Aspen Creek à présent? Qu'est-ce qui t'amène ici, si tu n'y as pas grandis? Quel rôle y joues-tu? Pourquoi Aspen Creek a-t-elle besoin de toi? Qu'attends-tu des prochains mois?
Ce qui m'amène à Aspen? L'ironie du sort!
Quand j'ai accepté le poste que me proposait la CIA j'avais demandé à ne surtout pas être en contact direct avec Nate. Mais voilà que le directeur général lui-même nous a donné rendez-vous dans son office, nous a donné deux alliances, un certificat de mariage, les clefs d'une maison... Nous avions pour mission de nous rendre à Aspen en tant que jeune couple marié (ironique je vous dis). De passer pour des humains delta tout en recherchant le plus d'informations possible sur les habitants de Aspen et l’existence des surnats. Charmant, monstres et contes de fées.
Sentez-vous le sarcasme dans ma voix ?
D'autres choses à nous faire savoir ? Sur tes capacités? Sur ta vie? Sur ton environnement? Un secret peut-être que nul n'est censé connaître?
Je l'aime encore... J’ai toujours été celle du couple qui aimait le plus l’autre je le sais. Mais là c’est pathétique. J’avais réussi à me persuader que je l’avais oublié et que tout ça était derrière moi. Que je pouvais me construire une nouvelle existence, sans lui, loin de lui. Mais le revoir…
C’est pathétique. Je suis pathétique !
Je peux partir maintenant ?